Interview de Valentin T.

11 mai 2020

 

Petite interview de Valentin T., membre du jury du concours « Il était une fois un petit jeu de rôle ». Cette interview est menée par Tiramisù le 20 Avril 2020.

Merci d’être avec nous ce soir Valentin ! Est ce que tu pourrais te présenter en quelques mots

Merci pour cette interview =) J’approche de la 30aine, et je suis chercheur dans la vrai vie. J’adore l’expérimentation et la théorie rôliste, et je suis principalement actif sur les Courants Alternatifs qui est une communauté qui s’intéresse aux multiples formes que peut prendre les jeux et les pratiques rôlistes.

Quel est ton parcours ludique et quels jeux de rôle t’ont profondément marquée ?

Je pratique beaucoup les jeux vidéo, de carte, de plateau et de rôle depuis petit. En terme plus particulièrement rôliste, mes deux premières expériences Warhammer V1 et Donjons & Dragons 3.5 ont été une vraie claque. Sinon j’ai été bluffé par la manière dont Sombre et Dragon de Poche permettent de faire de superbes parties sur le pouce. La Clef des Nuage a été une révolution pour moi, en me montrant la richesse symbolique en germe dans les parties de jeux de rôle. De manière générale, les jeux auxquels j’ai le plus été sensible sont ceux qui m’ont donné des parties très émouvantes; il y en aurait trop pour les citer, mais Bliss Stage, Happy Together, Démiurges ou Terres de Sang en font partie par exemple.

Tu as une lecture très singulière sur le jeu de rôle, une quête personnelle pour comprendre et expliquer ce média. Qu’est ce qui te motive à cela ?

Je ne me suis jamais posé la question… Je pense qu’il y a deux réponses : la première est ludique, l’autre est intellectuelle.

La réflexion théorique est une manière pour moi d’essayer de créer les jeux les plus intéressants possibles. Le JdR est un média jeune, et j’ai le sentiment qu’il a le potentiel pour nous apporter des expériences très fortes et très signifiantes. J’essaie au mieux de le comprendre pour pouvoir concevoir des jeux qui atteigne cet objectif.

Ensuite, le JdR est une activité la plupart du temps basée des pratiques langagières. Étant linguiste par ailleurs, c’est vraiment passionnant d’étudier des gens qui construisent des mondes imaginaires et des expériences en utilisant presque exclusivement les ressources du langage. Le JdR est comme une sorte de laboratoire d’expérimentation sous mes yeux, et c’est fascinant à étudier en détails !

Quelles sont les notions théoriques sur lesquelles tu travailles ?

Ma manière de construire des théorie est fondée sur des disciplines des sciences humaines et sociales, principalement l’analyse des conversations. Les notions sur lesquelles je travaille sont dérivée de cette manière d’étudier les pratiques langagières. En général, j’étudie au « microscope » les échanges qui ont lieu entre les participants : qui prend la parole à quel moment, pour dire quoi, à qui. Un exemple de ce genre de réflexions est l’analyse de l’effet d’une mécanique de jeu sur les échanges. Une question qui m’intéresse en ce moment à ce sujet c’est d’essayer de voir quel types d’énoncés sont produit avec et sans une mécanique de négociation par exemple. Lorsqu’il existe une mécanique de négociation, on a tendance à voir dans les parties moins d’échanges entre les participants qui relèvent effectivement de ça.

Si on compare un jeu comme Donjons & Dragons, dans lequel il y a une compétence « Persuasion », et un jeu comme Damnés, où il n’en existe pas, on remarque que dans le premier cas les joueurs vont moins souvent roleplayer une négociation et ils vont plutôt utiliser la mécanique à la place, tandis que dans le second cas ils vont systématiquement rôleplayer la négociation. Il y a un effet assez clair de la mécanique sur la forme des pratiques langagières en JdR, et ce qui m’intéresse ici c’est de comprendre ce phénomène en détails.

Plus généralement, j’essaie de mobiliser les sciences humaines et sociales dans leur diversité pour utiliser les outils qu’elles ont développé, et les appliquer au JdR pour explorer le média par ce biais.

Dans tes pérégrinations, quelles formes originales de jeux de rôle as tu testées ?

Voilà une question difficile ^^ J’essaie justement d’explorer au maximum la diversité des façons de pratiquer le JdR, qui sont pour moi autant de manières d’expérimenter les limites du média, et donc de mieux le comprendre. J’ai par exemple fait du JdR par forum, du JdR par messagerie facebook (qu’on appelle le « RP » pour Roleplay là-bas), du JdR par mail, du JdR sans MJ, du JdR solo, du JdR avec un MJ et un PJ, et bien d’autres…

Tu es très curieux de ces nouvelles formes de jeu de rôle, mais pour le coup quel regard portes-tu sur le jeu de rôle traditionnel ?

Je trouve cette forme particulièrement intéressante, parce qu’elle répartit les responsabilités langagières d’une façon qui donne aux joueurs une grande richesse de gameplays. J’ai beaucoup expérimenté hors de la forme traditionnelle du JdR ces dernières années, et en ce moment je prends beaucoup de plaisir à y revenir et à creuser toute la richesse qu’elle a à offrir.

Penses-tu un jour faire une publi, proposer des articles scientifiques à des journaux à comité de lecture sur les jeux de rôle ?

C’est une possibilité oui ! J’ai pas mal de choses dans les cartons à ce sujet. Le problème que je rencontre est que la publication d’article scientifique est un travail très chronophage, et mon temps est déjà bien occupé par mes autres sujets de recherches par ailleurs. Peut-être plus tard !

Tu crées des jeux depuis quelques années – la plupart du temps sans les rédiger pour les transmettre. Peux tu nous évoquer quelques-uns de ces jeux que tu n’as pas écrit ?

D’accord ^^ Pour préciser, ce que j’aime c’est d’expérimenter, en faisant des hypothèses et en les testant pendant des parties avec des jeu que je conçois à cet effet. Une fois que j’ai validé ou invalidé une hypothèse, je laisse le jeu-expérience de côté pour me lancer sur un autre projet. La publication ne m’intéresse pas beaucoup.

J’ai quelques projets derrière moi, dont voici ceux qui me viennent en tête : – Le Fast-Food du jeu moral, qui est une expérience de jeu minimaliste visant à construire chez un joueur un dilemme moral intéressant, en 45 minutes de jeu environ. – La Geste Chimérique, qui est un jeu romantique et tragique de chevalerie dans un univers de high fantasy. On y fait des serments sur l’honneur, on se bat contre son amant pour ses idéaux, et l’on se sacrifie pour sauver ceux que l’on aime. – Les Larmes du Soleil, qui est un jeu poétique et symboliste en une page, où l’on joue le voyage d’un poète qui parcours le monde en quête de symboles. C’est un jeu conçu avec Simon et Manon Li, et vu qu’eux-deux écrivent des jeu, il est disponible sur leur site.

Ce dernier est l’un des rares exemples de jeux rédigés que je te connais 🙂

C’est plutôt Simon et Manon qui sont passés par la case « écriture » ^^

Plus généralement, j’aime énormément participer à la conception de jeu d’autres créateurs. C’est comme une énigme : je discute avec quelqu’un qui voudrait produire quelque chose de particulier avec son jeu, mais il ne sais pas comment faire. Là s’allume mon envie de « résoudre l’énigme » et de trouver une solution. Du coup, je passe plus de temps à tester les jeux des autres et à discuter avec eux de conception, qu’à travailler sur mes propres projets ^^

Tu promeus une méthode de création de jeux de rôle qui correspond tout à fait à ce concours : n’écrire que le coeur du coeur du jeu, en très peu de mots, un pico-game, pour de suite le tester. Est ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

L’idée pour moi, c’est que le coeur d’un jeu a de bonnes chances de tenir en quelques mots. Par exemple, la forme classique du jeu de rôle pourrait s’écrire comme :
1 – Le MJ décrit une situation
2 – Les joueurs énoncent ce que font leurs personnages
3 – Le MJ décrit les conséquences des actions des personnages
4 – Retour en 1 (Je tire cet algorithme du Grumph)

Deux choses sont importantes pour moi à ce stade :

– Pour jouer au JdR, on a pas besoin de beaucoup de choses. Les éléments surnuméraires qui entourent le coeur du jeu vont certes le renforcer, l’améliorer, mais finalement la nature de l’expérience est résumable en quelques phrases.

– Du coup, pour tester de nouvelles formes de jeu, il n’est pas non plus nécessaire de faire des jeux très long. Et comme on a pas toujours de bonnes idées, il vaut parfois mieux commencer avec un jeu court et tester rapidement si la forme minimale est globalement intéressante, que de passer 6 mois à écrire des pages et des pages pour un projet et se rendre compte au premier test tardif que le cœur du jeu est « bof ».

Je pense que les jeux courts sont un creuset particulièrement créatif pour explorer des manières différentes de jouer au JdR. C’est pour ça que je me régale d’avance de lire les contributions des uns et des autres !!

Est ce que tu as déjà participé à un concours de création comme celui-ci ?

Non, car en général mon emploi du temps ne me permet pas d’immobiliser quelques soirées pendant le temps d’un concours (qui dure une ou deux semaines en général). Par contre, je regarde avec attention les créations issus des concours comme le Game Chef ou les Jam qui fleurissent en ce moment. Je fais très régulièrement un travail de conception de mon côté, comme une manière de créer sous contrainte. J’aime beaucoup ça en tout cas !

Ce concours a, cette année, pour thème les jeux de rôle à distance. Quelle pratique et quel intérêt as tu pour ce type de modalité ?

Comme je l’évoquais plus haut, j’ai beaucoup joué à distance avec des formes différentes de JdR (par forum, mail, messagerie…), et je continue d’explorer ça encore aujourd’hui. Ces pratiques m’intéressent énormément, car des dispositifs différents transforment chacun à leur manière la forme des interactions entre les joueurs. Ces transformations sont autant d’opportunités de créer des pratiques nouvelles, c’est vraiment fascinant de voir ce genre de chose se créer !

Enfin, dernière question de cette petite interview : qu’attends-tu personnellement des jeux de ce concours ?

J’aimerais beaucoup voir des jeux qui transforment les spécificités de la communication à distance non pas en contraintes, mais en opportunités de créer des moments forts pendant les parties. Mais de manière générale je suis certain que les jeux me passionneront !!

Un Grand Merci Valentin pour t’être prêté à cette petite interview !

Merci à toi 😉